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Channel: Jordanie – Culture et politique arabes
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Le drapeau arc-en-ciel dans le monde arabe

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Le 22 septembre avait lieu au Caire un concert du groupe libanais Mashrou’ Leila. Dans l’assistance, quelqu’un a agité un drapeau arc-en-ciel (voir illustration). Depuis, une cinquantaine de personnes ont été arrêtées pour « débauche, incitation à la déviance sexuelle et participation à un groupe hors-la-loi ».

Sur son site, Brian Whitaker est revenu à plusieurs reprises sur une répression symptomatique du climat dictatorial qui sévit aujourd’hui en Égypte. Alors qu’on retrouve nombre d’éléments déjà présents lors de l’affaire dite du Queen Boat en 2001, notamment le choix, de la part des autorités, de jouer la carte du populisme en s’en prenant à une minorité fragile faisant une cible facile, il note également que les conditions ne sont plus les mêmes désormais. En effet, sur les réseaux sociaux en particulier, on voit s’exprimer une opinion de moins en moins prompte à condamner sans nuance ce qui, pour beaucoup encore, ne saurait être qu’une perversion, à la limite une maladie… Cet observateur attentif des questions de société dans le monde arabe conclut ainsi : « Les partisans du drapeau arc-en-ciel ont des soutiens, reste à voir jusqu’à quel point. À nouveau, le régime peut arriver à ne faire qu’une bouchée de ses victimes. Une bouchée qui, cette fois, pourrait bien s’avérer particulièrement indigeste. »

♦ Pourquoi Mashrou’ Leila se trouve-t-il ainsi associé à cette affirmation du droit à une sexualité différente ? Créé en 2008 par des étudiants de l’Université américaine de Beyrouth, le groupe de rock indie s’est imposé sur ce qu’on appelle la « scène alternative », dont le public se recrute pour l’essentiel au sein de la jeunesse favorisée des grands centres urbains de la région. Ses chansons rejoignent bien des thématiques développées par les formations de ce genre, à savoir par exemple la dénonciation de la répression et du confessionnalisme, tout en appelant à étendre les libertés, notamment individuelles. Dans cette perspective, son chanteur leader, Hamed Sinno (حامد سنو), ne fait pas mystère de son homosexualité tandis que plusieurs titres du groupe, Shamm al-yasmin  ou encore Tayf, ont été interprétés comme autant de déclarations en faveur d’une sexualité qui ne serait pas exclusivement hétérosexuelle.

Après un premier « scandale » à Byblos en 2010, lorsque le chanteur du groupe avait attaché à son micro la fameuse bannière arc-en-ciel, la réputation sulfureuse du groupe s’est vue en quelque sorte confirmée lorsque le gouverneur d’Amman a pris la décision en avril 2016 d’annuler un concert qui « ne convenait pas à la solennité du lieu » (l’amphithéâtre romain) où il devait avoir lieu (alors que le groupe s’y était déjà produit à plusieurs reprises). Un prétexte qui n’a trompé personne, la véritable raison étant l’opposition morale de cercles politiques, tant musulmans que chrétiens du reste. En juin 2017, le groupe s’est vu refuser à nouveau le droit de se produire en Jordanie, une décision du ministre de l’Intérieur cette fois, « compte-tenu de ce qui se chante dans ce spectacle et qui heurte la sensibilité publique, en plus de réactions de colère de la part de citoyens » هذا القرار جاء نظرا لما يقام في هذا الحفل من فقرات تستفز المشاعر العامة، بالاضافة إلى ردات .الفعل الغاضبة من المواطنين علي

Après avoir évité toute surenchère, le groupe Mashrou’ Leila a publié quelque temps après son concert du Caire, sur sa page Facebook, un bref communiqué (en anglais et en arabe) pour dire son dégoût de « l’hystérie créée à propos de gamins brandissant un morceau de tissu symbolisant l’amour » et pour dénoncer « la diabolisation et les persécutions pour des crimes sans victimes entre des adultes consentants ».

♦ Alors que les soulèvements de l’année 2011 avaient fait naître bien des espoirs, en particulier à propos de la question des libertés individuelles (dont CPA s’était d’ailleurs fait l’écho en mars 2012 par exemple), que faut-il penser des remarques de Brian Whitaker lorsqu’il évoque des progrès manifestes dans l’opinion, quand bien même restent-ils insuffisants ? Citant le créateur du blog Al-Bab, un panorama publié en avril 2011 par Al-Akhbar (ici dans sa version anglaise) arrivait déjà à des conclusions du même genre en soulignant qu’il faudrait du temps, même dans le climat d’euphorie (de l’époque), pour que les progrès auprès de l’opinion se traduisent en mesures concrètes, notamment juridiques. Comme je l’écrivais dans un billet d’août dernier, ce sont plutôt les femmes qui profitent dans l’immédiat de certaines modifications légales décidées ou seulement annoncées…

Pourtant, un regard rétrospectif sur la production culturelle arabe met en évidence des évolutions certaines. Sans doute, un auteur comme Adham Youssef peut-il déplorer, dans un article récent sur le site Mada, « l’absence de progrès » en ce qui concerne les représentations cinématographiques de l’homosexualité durant le demi-siècle passé. Néanmoins, son panorama, qui ne prétend pas à l’exhaustivité il est vrai, oublie certaines œuvres importantes sociologiquement, à défaut de l’être artistiquement, telles Tûl ‘omri (طول عمري) de Maher Sabri (ماهر صبري), en 2008, considérée comme « la première description réaliste » (article dans Al-Akhbar) d’homosexuels égyptiens, ou encore Secrets de famille (أسرار عائلية) de Hani Fawzi (هاني فوزي) en 2013 (billet sur ce film ici). On pourrait mentionner bien d’autres films, comme le très récent Barr, Bahr (bêtement traduit par Je danserai si je veux) de la Palestinienne Maysaloun Hamud avec, parmi les trois figures principales, une femme homosexuelle (voir ce billet).

La présence d’allusions – sous une forme qui n’est pas totalement négative – à l’homosexualité de divers personnages est encore plus significative quand elle a lieu, non pas au cinéma (Hina maysira de Khaled Youssef en 2008 par exemple), mais dans un feuilleton, qui touche un public beaucoup plus large. Cela s’est produit, comme on l’avait écrit ici dans un feuilleton intitulé Vague de chaleur (موجة حارة) et projeté, durant le mois de ramadan, par la chaîne MBC Egypt en 2013, avec la mention, particulièrement hypocrite dans ce contexte, « interdit aux moins de 18 ans ! Dans le même esprit, la diffusion en 2010, par la chaîne libanaise privée Al-Jadeed, d’un documentaire « objectif » sur la question homosexuelle est un autre signal qui mérite l’attention.

De même, s’il est vrai que le magazine tunisien GayDay (chroniqué ici) a disparu, c’est en Jordanie que la publication en ligne LGTB MyKali a choisi de lancer, en juillet 2015, une version arabe (en ligne également). Après le Liban, d’autres pays ont vu apparaître au grand jour des associations militant autour de ces questions. En Tunisie par exemple, où la « société civile » est particulièrement active, l’ONG Shams se donne pour objectif de « lancer un débat sociétal sur l’homosexualité et de lutter contre l’homophobie ». Et en avril dernier, Shams a même lancé son propre magazine avec une couverture où figure l’actrice Fatma Ben Saidan (فاطمة بن سعيدان) drapée, inévitablement, dans les drapeau tunisien et… arc-en-ciel !


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